[a.MUA]

atelier Morphose Urbaine et Architecturale

L'effet de seuil - D'un espace a l'autre

Ou l'Art et la Manière de traiter le seuil...

La ville d'Istanbul, ses mosquées et plus encore le palais de Topkapi recèlent une richesse peu commune d'un point de vue urbain.

D'une manière générale, l'effet de seuil désigne l'apparition d'un phénomène, d'une caractéristique, d'un droit ou d'une capacité dès lors qu'une valeur donnée (ou valeur de seuil) est atteinte ou franchie par une variable ou plusieurs variables combinées.

extrait de Wikipédia

Cet "effet de seuil" en urbanisme résulte en général d'une émotion très particulière, que l'on trouve parfois au détour d'une rue, d'un lieu inattendu. En général, il est perçu à l'entrée, au seuil d'un espace urbain remarquable.

En ce sens, Istanbul fait partie de ces villes, rares, dont le paysage urbain comporte de nombreux effets de seuil. Au point qu'ils forment sans nul doute une des bases du "Genius Loci" (Christian Norberg-Schulz, 1981) d'Istanbul.

A Sultanhamet, on peut dénombrer déjà un certain de transitions, à plusieurs points de vue:

  • échappées visuelles vers la mer, qui marquent un moment particulier lorsqu'on arpente ce secteur de la ville,
  • architecture: le quartier des pêcheurs se distingue particulièrement, en bord de la Marmara par rapport au reste de Sultanhamet, avec cependant une transition progressive,
  • les activités et les usages diffèrent également d'un espace à l'autre,
  • on retrouve quasi systématiquement l'usage de transitions "vertes", qui ont toutefois tendance à se perdre…

Ces effets trouvent leur aboutissement le plus extrême dans le palais de Topkapi et du harem. En particulier, le travail sur la lumière (passage d'un espace sombre à un espace lumineux), la volumétrie (succession de lieux confinés, de vestibules étroits, à de grandes cours ou des pièces surdimensionnées), ou encore sur la valeur d'usage qui a tendance à se restreindre dans les constructions ou espaces urbains contemporains apparaissent ici comme une richesse dans les parcours et les émotions très particuliers.

Ces usages oubliés, ces temps d'attente avant de rencontrer le sultan, ces passages transitoires, la purification avant la prière, etc. sont autant de moments "zappés" dans notre vie actuelle et qui, pourtant, permettaient de créer des progressions d'un état à l'autre, d'un moment à l'autre, sans brutalité, et de trouver ainsi une certaine sérénité.

Plus loin dans la ville, les quartiers de Galata et Taksim représentent un autre Istanbul, dont la transition avec Sultahamet est le bras de mer (la Corne d'Or). Par analogie avec le fonctionnement des mosquées et le Palais de Topkapi, mais à plus large échelle, on retrouve également ces effets de transition au droit du passage entre la mer Noire et la mer Marmara par le Bosphore.  On peut ainsi, par extension,  faire l'analogie avec les fractales, qui positionne la transition, non plus comme une limite franche entre deux espaces, mais comme un espace, un lieu en soi.

La limite fictive, la ligne qui démarque deux quartiers prend de l'épaisseur, des activités et un génie du lieu s'y sont développés et marquent une transition entre deux secteurs. En ce sens, les activités qui s'y déroulent ont également un caractère de transition, du fait de leur pérennité dans le temps (ex: animations ponctuelles, restaurants, pêche, etc.). De fait, dans ces espaces intermédiaires à Istanbul, on n'y habite pas.

Les passages entre deux quartiers ne se font pas brutalement mais de manière progressive, et le transfert dans ces espaces de transition, la Corne d'Or par exemple, se fait même de manière progressive. Toutes les échelles ont été réfléchies, de manière à intégrer le plus finement possible chaque espace, chaque micro-espace, à la ville et faire en sorte que ces espaces ne dérivent pas en non-lieu.

Cette notion donne particulièrement de la richesse d'usage à la ville qui la porte. En ce sens, Istanbul représente une forme plus aboutie d'urbanité que bon nombre de villes européennes. Le Corbusier l'avait déjà senti lors de ses pérégrinations dans les années 30 et 50 et, même si Istanbul est aujourd'hui entrée dans le 21ème siècle, cet état de fait s'est prolongé jusqu'à aujourd'hui.

Peu de capitales peuvent s'en vanter.