[a.MUA]

atelier Morphose Urbaine et Architecturale

"Cité-dortoir, cité poubelle"

Enclaves sans relation à l’extérieur (phénomène de boite), au système local, sans histoire, sans identité. C’est le propre du centre commercial: toujours nous emporter dans un imaginaire, dans l’éphémère, la spontanéité où tout est périssable (même le temps).

 

Cité-dortoir, cité poubelle,
Nuit et brouillard, lumières artificielles
Dans nos intérieurs d’infinie solitude,
On rêve d’ailleurs sous d’autres latitudes.

Louis Chédid, chanteur français, extrait de la chanson "Mégalopolis"

Malgré tout, ils sont extrêmement bien desservis par les réseaux de transport (rocade, autoroutes, ...) pour des raisons économiques. Mais les quartiers alentours sont toujours en dehors de ce système de réseaux. Si les nouveaux centres se situent en bordure d’autoroute, alors l’histoire se répèterait-elle? Les centres anciens se sont toujours développés au carrefours de voies importantes (routières et/ou fluviales) et ce, grâce au commerce.

D’autre part, ce qui fait l’identité d’un centre ancien, c’est aussi que tout est relié: peu d’enclave sauf couvents et casernes. Mais le XXème siècle n’a pas su prolonger ce microcosme et les nouveaux quartiers se sont ainsi retrouvés sans lien. Si l’on peut alors comparer les centres commerciaux aux centres anciens, dans la mesure où le commerce en est la base, alors on est en droit de se demander si la périphérie pourrait avoir un avenir tel? Il est donc important de reconnecter les quartiers au centre (commercial s’il y en a un).

Curieusement, en même temps que la périphérie voit naître de nouveaux centres, elle produit aussi des vides, des friches urbaines depuis trois ou quatre décennies. Pour expliquer les causes génératrices de ce phénomène, Claudine Chaline (dans La Régénération Urbaine, Presses Universitaires De France, Collection Que Sais-je?, 1999) se réfère aux cycles longs tels celui de Kondratiev rythmant l’économie mondiale, déterminés par l’innovation en matière de transport et de communication (rail, automobile, et aujourd’hui Internet).

Mais cette approche pouvant mener à la "mort des villes" est fortement contestée. On lui oppose donc l’idée que l’urbain a toujours eu une capacité à se réadapter à de nouveaux contextes (P. Hall). Les logiques de délocalisation d’activités sont ainsi une des grandes causes de multiplication des friches urbaines. Ce qui faisait parfois le trait d’union entre les quartiers (une entreprise qui employait tous les habitants au début du siècle...) se désagrège, en s’expatriant là où les conditions économiques seront sans doute plus profitables. La périphérie, en plus de son émiettement bâti que l’on doit à un parcellaire parfois quasi-inexistant, se troue par-ci par-là derrière quelque mur, sans que l’on ne s’en doute.

Quant aux sites militaires, c’est à partir du XVIIème siècle que le nombre de conflits en Europe a eu pour conséquence d’enserrer les grandes villes comme Paris ou Strasbourg, et d’implanter tout un éventail d’installations militaires dans chaque Etat. Le cas de la Bretagne est d’autant plus particulier qu’il fallait réprimer ces insurgés de bretons revendiquant leur indépendance. Les Armées deviendront ainsi l’un des premiers gestionnaires du foncier urbain, pouvant contrôler encore aujourd’hui 5% de la ville de Strasbourg, voire jusqu’à 1/3 des villes de garnison (Cf. La Fère dans l’Aisne). A Rennes, ces emprises ont concerné entre 8 et 10% du territoire communal. Cette situation a quelque peu évolué dans les années 1960, quand la croissance urbaine battait son plein. L’Armée accepta alors de céder des installations urbaines aux municipalités qui souhaitaient réaliser certains aménagements. A cette époque, les réaffectations se faisant rapidement, aucune véritable friche ne s’est constituée. Mais depuis la réorganisation des forces armées en Europe, et notamment le «Plan Armée 2000» en France, engagé dans la fin des années 1980, les effectifs diminuent largement, changement auquel on peut ajouter la professionnalisation des militaires.

C’est à partir de là que l’on voit apparaître de plus en plus de friches militaires (bâtiments et terrains urbains et suburbains, devenus inutiles, et demeurant à l’état d’abandon).

Aujourd’hui, ces emprises militaires concernent environ 4000 hectares (sans compter les terrains inutiles qui ne sont pas encore déclassés), sur à peu près 150 sites, dont 108 casernes et 9 hôpitaux, le tout intéressant une centaine de villes.

Ces nouvelles friches sont souvent devenues le lieu des squats, des tags ou de la végétation sauvage. Leurs occupations spontanées, leurs fonctions éphémères n’est pas sans relation avec le centre commercial. Cet apparent non-lieu sans rapport lui non-plus avec l’extérieur, rejeté de la cité, tombe peu à peu en déshérence. Et pourtant, la friche a une histoire, une mémoire, des traces à redécouvrir. Perplexe devant de telles surfaces vides, désaffectées, on voit parfois une nouvelle "vie" s’installer, se déposer comme une nouvelle couche.

Ces friches sont réappropriées spontanément. Il s’y accumule de nouvelles histoires dans, sur, à côté des restes d’une vie antérieure. C’est là que réside la différence par rapport à un centre commercial, lieu semi-privé, policé. L’accumulation en est un point commun mais n’y est pas du même ordre: abondance de biens, d’argent, de flux... Le caractère éphémère du centre commercial est contrôlé par des logiques commerciales. La poésie n’a que peu droit de cité. Effet pervers de la mondialisation.

 

Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. [...] Un monde où l’on naît en cli­nique et où l’on meurt à l’hôpital, où se multi­plient, en des modalités luxueuses ou inhu­maines, les points de transit et les occupations provisoires (les chaînes d’hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou à la pérennité pourrissante), où se développe un réseau serré de moyens de transport qui sont aussi des espaces habités, où l’habitué des grandes surfaces, des distributeurs automatiques et des cartes de crédit renoue avec les gestes du commerce "à la muette", un monde ainsi promis à l’individualité solitaire, au passage, au provisoire et à l’éphémère. [...]

Marc Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Editions du Seuil, Collection La Librairie du XXème siècle, avril 1992.

Si le centre commercial est un non-lieu en soi, la friche n’en est pas un. Du moins, pas tout à fait. Car, malgré tout, elle a une identité en puissance, une mémoire qui subsistent parfois et qu’il s’agit de révéler. A l’inverse du centre commercial de périphérie complètement stérile [NDLR: 15 ans plus tard, en 2019, on peut aujourd'hui affirmer que les centres commerciaux commencent à engager une conversion, le modèle économique s'essoufflant...], la friche a la faculté de muter et c’est en cela que la friche est remarquable.

Je ne suis rien... A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.

Fernando Pessoa